«Les cadors on les retrouve aux belles places, nickel. Les autres c’est Saint-Maur, Chateauroux Palace, plus d’ciel», dit la chanson de Souchon. Pour les 204 détenus de la maison centrale de Saint-Maur, l’horizon y est tout aussi sombre que ne l’est leur passé. Parfois depuis et pour des décennies.
C’est un euphĂ©misme de dire qu’on y purge de longues peines. «Leur moyenne est d’environ 15 ans», note un surveillant. 35 dĂ©tenus sont RCP, le jargon de prison pour dire «rĂ©clusion criminelle Ă perpĂ©tuitĂ©.» L’un d’eux – on l’appelera Monsieur M. – est derrière les barreaux depuis 1976. Sa santĂ© vacillante. Il n’est plus que l’ombre de lui-mĂŞme. Son nom parle Ă tout le monde. La loi interdit de le citer, comme celui des autres dĂ©tenus. Par respect pour les victimes, notamment.
LP / Philippe de Poulpiquet
Le triptyque sport, travail, promenade
La liberation récente de Patrick Henry, décédé dimanche, passé lui-même par Saint-Maur, a remis en lumière la délicate question de ces «longues peines.» «Des individus qui ont vocation à regagner la communauté des hommes», souligne Véronique Sousset, la directrice de la centrale. Une gageure, au regard de la nature des faits pour lesquels ils ont été condamnés, et de ces années où leur espace-temps s’est comme dilué. «Ces cinq ans passés ici, honnêtement, je ne les ai pas vu filer», souffle Omar,* déjà 13 années de détention au compteur pour un trafic de stupéfiant. Mais pour la majorité, «c’est long, c’est l’ennui», résume Michaël, 43 ans, «sept mois dehors sur les vingt dernières années.» «Je ne suis pas un ange. Le dossier est lourd», reconnaît-il, regard rivé sur sa fin de peine, en 2021.
Omar égrène ses journées, son emploi du temps millimétré. Tout tourne autour du triptyque sport, travail, promenade. Soit sept mouvements quotidiens au maximum, et autant de possibilités pour les détenus de quitter ces cellules individuelles où chacun tente de se recréer un semblant de chez soi. Celle de Michel a des allures d’appartement témoin, meubles en simili acajou ornés de rangées de DVD. En général, l’aménagement reste sommaire. «Tout est cher en prison», râle Philippe.* Le moindre aliment «cantiné» voit son prix doublé par rapport à l’extérieur. Le choix est par ailleurs limité. «Depuis la suppression du catalogue de La Redoute, et comme on n’a pas Internet, on ne peut même plus commander d’habits», déplore Yves, l’un de ses co-détenus.
LP / Philippe de Poulpiquet
« La société de dehors, vous la retrouvez à l’intérieur »
Les récriminations sont nombreuses, parfois justifiées face à une administration par définition peu réactive. D’autres complaintes semblent plus routinières. «Souvent, je leur demande ce que ça leur fait d’être victimes une fois dans leur vie ?», plaisante un surveillant. A Saint-Maur, l’objectif est clair : «donner un sens à la peine, et faire que chacun d’entre eux en soit le moteur», décrit Véronique Sousset. Pour cela, chaque détenu est inscrit dans un PEP, un plan d’exécution de la peine, qui voit son attitude au quotidien être disséquée par les personnels. Sont notés les pas en avant, comme ceux de côté.
«La maison d’arrĂŞt (NDLR : oĂą les dĂ©tenus sont en attente de jugement), c’est comme un HLM, mais une Centrale comme ici, ce serait plutĂ´t une zone pavillonnaire oĂą les gens sont propriĂ©taires», compare SĂ©bastien. Ex-militaire, il est le «tĂ´lier» du bâtiment A. «Une prison dans la prison» qui regroupe les quartiers d’isolement et disciplinaires. L’homme possède le physique du boxeur qu’il fut, et une intelligence de la vie forgĂ©e par les annĂ©es de «QD» et de «QI». «Après, c’est comme partout, complète-t-il. Y a toujours un mauvais coucheur qui embĂŞte le voisinage…» «La sociĂ©tĂ© de dehors, vous la retrouvez Ă l’intĂ©rieur, appuie Michel, un dĂ©tenu du «A». Y’a les anciens, et les jeunes qui n’ont plus le respect de rien.»
Lui a volontairement choisi d’être séparé des autres détenus, ceux des batiments B et C, aux conditions de détention plus classiques. Les trois rectangles parrallèles forment la colonne vertébrale de cette centrale, mise en service en 1975. Michel y fait montre d’une discipline à toute épreuve. La journée, «ça va.» Le soir en revanche, «tout remonte quand je suis en cellule», surtout «ce jour-là , où il est arrivé ça.» Un corps qui tombe à l’issue d’une bagarre sur fond d’alcool. La seconde fois dans son existence. «On m’a dit que c’était moi. Je ne m’en rappelais pas. Mais ça devait être le cas.» Le sexagénaire est accablé par sa «seconde prison», celle qu’il ressent aussi quand il pense à sa femme, dehors, «gravement malade.» «J’ai à moitié la tête ici, l’autre avec elle.»
Le mur d’enceinte… et l’autre mur
«Pour beaucoup, il y a un double mur, résume Grégory Escande, l’un des psychologues de Saint-Maur. Le mur d’enceinte, réel, et le mur mental dans lequel ils s’enfoncent.» Ainsi de ces «grottiers», ceux qui se sont fait comme avaler par leur 9m2, une grotte qu’ils ne quittent plus. «On fait ce qu’on peut pour qu’ils en sortent, mais ce n’est pas évident», décrit Didier Duchiron, le chef de détention.
LP/Philippe de Poulpiquet
Robert* a passé dix ans dans sa cellule, n’en franchissant la porte qu’une fois par an pour la fouille. Un jour, un déclic l’en a fait émerger. Il est désormais affecté au nettoyage de l’immense couloir reliant entre eux les trois bâtiments, qu’il astique dans un ballet que ne renieraient pas les meilleurs joueurs de curling. Pour d’autres, il semble trop tard. «Quand les années de détention passent, bien souvent, il n’y a plus de contact avec la famille», note Eric Lostanlen, le responsable du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), chargé, entre autre, «de préparer l’après.
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