C’est l’histoire d’un amour compliqué, si ce n’est impossible. Comme il en naît parfois entre un(e) détenu(e) et un(e) surveillant(e). Laura (1) est surveillante pénitentiaire dans une prison normande. L’an dernier, la trentenaire est tombée amoureuse d’un détenu, condamné à dix ans de prison (peine ramenée à six ans par la cour d’appel) pour trafic de stupéfiant.
« Un coup de foudre. Incontrôlable. Alors qu’avant, je n’avais jamais regardé un détenu physiquement. Pour moi, ce n’était pas des hommes. » Cette mère de famille est attirée par son côté « rassurant ». Pendant trois mois, elle a travaillé parfois à son étage. « On a un peu discuté. Puis, on s’est échangé nos numéros de téléphone. » Ce n’est qu’une fois dehors, alors qu’il sort de prison en janvier 2017, sous contrôle judiciaire, qu’ils démarrent une relation. « On est amoureux tous les deux », assure-t-elle.
Deux mois plus tard, le contrôle judiciaire de Mickaël (1) est révoqué. Il a conduit sans permis. Retour à la case prison, mais cette fois dans un centre de détention à plus de 300 km de l’établissement dans lequel travaille Laura. Elle, n’y retournera pas. Leur union irrite sa direction, prévenue par sa mère, elle-même surveillante pénitentiaire. « Le directeur m’a dit : c’est lui ou la pénitentiaire. »
Depuis, dit-elle, « on nous empêche de nous voir, de nous téléphoner, à cause de mon statut. On me voit comme une criminelle. Alors que les détenus entre eux peuvent avoir un permis de visite. »
Laura est en arrêt-maladie depuis mars. La direction interrégionale des services pénitentiaires indique qu’une procédure disciplinaire est en cours « pour non-respect de l’article 20 du code de déontologie du service public pénitentiaire » (lire encadré). Lundi, la surveillante a appris par recommandé qu’elle passera devant le conseil national de discipline.
Un parcours sans faute
« La sanction ne peut être qu’administrative : rétrogradation, radiation, suspension », précise son avocat, Sébastien Revel, avocat pénaliste de Caen. Il expose : « Ils ne dépendent plus du même établissement. Il ne s’est jamais rien passé à l’intérieur de la prison. Il n’y a jamais eu de trafic entre eux. » Cette femme née dans une famille d’uniformes a un parcours sans faute résumé par son avocat : « Elle a démarré sa carrière dans la gendarmerie nationale, a été adjointe de sécurité dans la police, avant de rentrer dans l’administration pénitentiaire en 2010. »
Elle vit ça de manière injuste et espère un reclassement. Laura n’est pas prête à démissionner. Elle veut se battre. « J’ai toujours fait mon boulot correctement. 14 ans que je travaille pour l’État. J’ai toujours été carrée, bien notée. Mes collègues ne comprennent pas. Mais c’est plus fort que tout. »
(1) prénom d’emprunt
Une idylle interdite par le code de déontologie
L’article 20 du code de déontologie des surveillants de prison interdit au personnel de fréquenter les détenus de leur établissement, y compris dans les cinq années qui suivent la remise en liberté de ce dernier, ou la levée de l’autorité du surveillant. L’administration pénitentiaire se base aussi sur l’article D221 du code de procédure pénale : « Les membres du personnel pénitentiaire […] ne peuvent entretenir avec les personnes placées ou ayant été placées par décision de justice sous l’autorité ou le contrôle de l’établissement ou du service dont ils relèvent, […] des relations qui ne seraient pas justifiées par les nécessités de leurs fonctions. »
L’avocat de la surveillante met en avant une atteinte à la protection de la vie privée, en se basant sur un arrêt du conseil d’État du 3 juillet 2014 qui enjoint le ministère de la Justice d’abroger une partie de l’article D221 (« ou ayant été placées »). « Cet article, qui n’est pas temporellement limité, est, selon moi, contraire aux valeurs de la constitution », explique Me Revel.
Ouest France